CHAPITRE 1 - PARTIE 1
Lundi 22 mars 1999
— Très bien Joséphine,
c’est excellent, continue comme ça, tu progresses énormément, tu es sur la
bonne voie. Lionel, en fait, j’attendais beaucoup mieux de toi, mais bon tu
liras les commentaires que j’ai écrits sur ta copie. Enfin Annie, c’est moyen,
tu peux mieux faire, et tu le sais.
Juste à la fin
de sa phrase, la sonnerie retentit dans tout le lycée. Il était 18 heures.
Elle avait
passé une journée épuisante, éreintante à travailler avec ses élèves.
Heureusement, elle allait bientôt s'achever, en effet, elle devait encore, mais
cette fois chez elle, corriger des copies et préparer les cours de demain. En
pensant à ce qui l'attendait, elle poussa un long soupir.
— Alors et cette journée ? lui demanda Stephen Quinn,
professeur d'anglais, en la sortant de ses pensées.
— Difficile et
fatigante, comme d'habitude quoi ! lui répondit Marie Martins.
— Allez viens !
Je t'invite à prendre un verre, ça va te remettre sur pied en moins d’deux.
Il est vrai que Marie était
ce qu'on pouvait appeler une belle femme, avec sa peau métissée, ses longs
cheveux noirs et raides – qu'elle laissait d'ailleurs courir le long de ses
épaules – et ses yeux verts en amande qui lui donnaient une rare beauté et
détournaient bien des regards vers elle. Elle aurait pu être mannequin lui
répétait sans cesse son amie Jeanne, au lieu de se fatiguer à donner des cours
de mathématiques. Alors, Marie pensait à son petit garçon de 5 ans et se disait
qu'elle ne pourrait pas rester longtemps séparée de lui.
— Désolée, mais il faut que je
rentre, mon fils m'attend.
— Et si tu
demandais à sa baby-sitter de le garder ce soir, on pourrait aller dîner
tranquillement tous les deux, je connais un bon resto qui vient d'ouvrir à deux
pas d'ici, qu'est-ce que tu en penses ?
— Vraiment, je
suis beaucoup trop fatiguée pour sortir ce soir, je ne serais pas d’une bonne
compagnie, je ne pense qu'à dormir, et puis j'ai encore un tas de copies qui ne
demandent qu'à être corrigées.
— Alors ce week-end ça t'irait
? insista-t-il lourdement.
— Je vais y réfléchir, promis.
— D'accord, je
compte sur toi, et souviens-toi que j'attends ta réponse avec impatience.
Depuis son
arrivée dans ce lycée, il y a deux ans maintenant, Stephen n'avait pas cessé de
lui courir après. C'est vrai qu'il était charmant, marrant et intelligent,
cependant, elle n'avait pas envie de relations amoureuses pour l'instant, elle
ne se sentait pas tout à fait prêtre à revivre ça. La blessure laissée par la
perte de son mari était encore trop fraîche dans sa mémoire et dans son cœur,
elle ne voulait pas trop bousculer ses sentiments, elle se sentait beaucoup
trop fragile pour le moment, elle préférait attendre un peu avant de s'engager
dans une relation.
En
plus, dans deux semaines, cela ferait trois ans que Pierre était mort, elle
n'avait réussi à reprendre le dessus après sa mort tragique que grâce à Marc et
Jeanne, elle les aimait trop pour s'être complètement laissée aller,
heureusement qu'ils avaient été là, pensait-elle souvent, sinon elle ne savait
pas ce qu'elle serait devenue. Pourtant, il lui arrivait encore régulièrement
de pleurer quand elle pensait à Pierre, elle l'avait tellement aimé qu'elle se
demandait s'il lui serait possible de refaire sa vie et de pouvoir à nouveau
aimer un autre homme.
Non,
ce serait impossible, en tout cas, pas autant qu'elle avait aimé Pierre.
Néanmoins, elle
savait qu'elle ne pourrait rester éternellement seule, elle était jeune,
attirante et de surcroît très intelligente. Pourtant, rien qu'à l'idée qu'elle
pourrait aimer un autre que Pierre, un nœud lui serrait le ventre et une boule
se formait dans sa gorge, alors automatiquement, elle sentait ses yeux la
piquer, et c'est à peine si les larmes ne coulaient pas.
Alors, à chaque fois pour se
calmer, elle se répétait qu'elle ne pourrait aimer un autre homme comme elle
avait aimé Pierre, elle le savait au fond d'elle-même. Leur vie avait été
soudée l'une à l'autre, et lorsqu'il s'était éteint, elle s'était éteinte avec
lui aussi, pas réellement bien sûr, mais une part d'elle-même mourut en même
temps que son mari et à compter de ce jour, elle ne vivait plus que par amour
pour son fils. Après tout, c'était aussi celui de Pierre. Ah ! qu'est-ce qu'il
lui ressemblait, c'était son portrait craché et il avait le même caractère que
son père. Ce pauvre Marc ! Il n'avait que 2 ans quand son père les avait
quittés, il ne parlait que très rarement de lui – alors Marie aussi en parlait
peu – il avait beaucoup souffert de cette perte, même s'il était très jeune
quand cela était arrivé, et il en souffrait encore énormément. Les seules fois
où il parlait de son père, Marie lisait dans ses yeux une profonde tristesse,
et voyait cette lueur qui déchire tant de cœurs.
Il était alors indéniable
que Marc avait besoin d'un père et Marie le savait. Malgré tout, deux serments
luttaient en elle, celui qu'elle avait fait sur la tombe de son défunt mari de
n'aimer que lui – son serment de femme – et celui qu'elle s'était fait à
elle-même de donner un père à son fils – son serment de mère – il lui faudrait
alors faire un choix entre les deux tôt ou tard, et rien qu'à l'idée d'en
rompre un, elle se sentait submerger par un sentiment de traîtrise et de
tristesse.
C'est en pensant à cela
qu'elle franchit le seuil de sa maison, elle ne s'était même pas rendue compte
qu'elle était arrivée chez elle. En entendant les clés s'introduire dans la
serrure, Marc qui dessinait dans le salon, ne fit qu'un bout pour aller
accueillir sa mère. (...)